Je m’endors

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Je m’endors

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A côté du chez Swann

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L
ONGTEMPS,
jeme suis couché
debonneheure.
Parfois,à peine
mabougieéteinte,
mesyeuxse fermaient
siviteque
jen’avais pas
letempsdeme dire:
« Jem’endors. »
Et,unedemi-heureaprès,
lapenséequ’ilétaittemps
dechercherlesommeil
m’éveillait;
jevoulaisposer
levolumeque
jecroyais
avoirencoredanslesmains
etsoufflermalumière;
jen’avais pascessé
endormantdefaire
desréflexions
surce que
jevenais delire,
maiscesréflexions
avaient prisuntour
unpeuparticulier;
ilme semblaitque
j’étaismoi-même
cedont
parlaitl’ouvrage:
uneéglise,
unquatuor,
larivalité
deFrançois
Ier
etdeCharlesQuint.
Cettecroyancesurvivait
pendantquelquessecondes
àmonréveil;
ellene choquait pas
maraisonmaispesait
commedesécailles
surmesyeuxet
lesempêchait
dese rendrecompte
quelebougeoir
n’était plusallumé.
Puisellecommençait
àmedevenirinintelligible,
commeaprès
lamétempsycoselespensées
d’uneexistenceantérieure;
lesujetdulivre
se détachaitdemoi,
j’étaislibrede
m’y appliquerounon;
aussitôtjerecouvrais
lavueet
j’étaisbienétonné
detrouverautourdemoi
uneobscurité,
douceetreposante
pourmesyeux,
maispeut-être
plusencorepour
monesprit,
àqui
elleapparaissaitcomme
unechosesanscause,
incompréhensible,
commeune
chosevraimentobscure.
Je me demandais
quelleheure
ilpouvaitêtre;
j’entendaislesifflement
destrainsqui,
plusoumoinséloigné,
commele
chantd’unoiseau
dansuneforêt,
relevantlesdistances,
me décrivaitl’étendue
delacampagnedéserte
levoyageurse hâte
verslastationprochaine;
etlepetitchemin
qu’ilsuit
vaêtregravé
danssonsouvenir
parl’excitation
qu’ildoità
deslieuxnouveaux,
àdesactesinaccoutumés,
àlacauserierécenteet
auxadieux
souslalampeétrangère
quilesuivent
encoredanslesilence
delanuit,
àladouceur
prochaineduretour.
Text
Marcel Proust, Du côté de chez Swann.
Gallimard, 1919: 11.
Grasset, 1913.
Image
Claude Monet, Waterlillies (detail), 1906.
Art Institute of Chicago.
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