Après le mariage de Chéri

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Après le mariage de Chéri

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Chéri

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E
LLE
SE RECOUCHA
surledos
etconstataque
Chériavait jeté,
la veille,
seschaussettes
surlacheminée,
sonpetitcaleçon
surle
bonheur-du-jour,
sacravate
au cou
d’unbuste
deLéa.
Ellesouritmalgréelle
àcechauddésordremasculin
etrefermaàdemi
sesgrandsyeuxtranquilles
d’unbleujeuneet
quiavaient gardé
tousleurscilschâtains.
Aquarante-neufans,
LéonieVallon,
diteLéadeLonval,
finissaitunecarrièreheureuse
decourtisanebienrentée,
etdebonnefille
àquilavie
a épargnélescatastrophesflatteuses
etlesnobleschagrins.
Ellecachaitladate
desanaissance;
maiselleavouaitvolontiers,
enlaissanttomber
surChériunregard
decondescendancevoluptueuse,
qu’elleatteignaitl’âge
des’accorderquelquespetitesdouceurs.
Elleaimaitl’ordre,
lebeaulinge,
lesvinsmûris,
lacuisineréfléchie.
Sajeunessedeblondeadulée,
puissamaturitédedemi-mondaineriche
n’avaient accepténil’éclatfâcheux,
nil’équivoque,
etsesamisse souvenaient
d’unejournéedeDrags,
vers1895,
Léaréponditausecrétaire
du
Gil
Blas
quilatraitaitde“chèreartiste” :
“Artiste?
Oh!vraiment,
cherami,
mesamants
sontbienbavards….”
Sescontemporainesjalousaient
sasantéimperturbable,
lesjeunesfemmes,
quelamodede1912
bombaitdéjà
dudosetduventre,
raillaientlepoitrailavantageux
deLéa,
—celles-cietcelles-là
luienviaientégalementChéri.
“Eh,
monDieu!
disaitLéa,
il n’y a pas
dequoi.
Qu’ellesleprennent.
Jene l’attache pas,
etilsorttoutseul.”
En quoi
ellementaitàdemi,
orgueilleused’uneliaison,
— elledisaitquelquefois :
adoption,
parpenchantàlasincérité
— quidurait
depuissixans.
“Lacorbeille…
reditLéa.
MarierChéri….
Cen’est paspossible,
— cen’est pas…
humain….
Donnerunejeunefille
àChéri,
— pourquoipasjeterunebiche
auxchiens?
Lesgensne savent pas
ce quec’est queChéri.”
Elleroulaitentresesdoigts,
commeunrosaire,
soncollierjetésurlelit.
Ellelequittaitlanuit,
àprésent,
carChéri,
amoureuxdesbellesperles
etquilescaressaitlematin,
eût remarquétropsouvent
quelecoudeLéa,
épaissi,
perdaitsablancheuretmontrait,
souslapeau,
desmusclesdétendus.
Ellel’agrafasursanuque
sansse lever
etpritunmiroir
surlaconsoledechevet.
“J’ail’aird’unejardinière,
jugea-t-ellesansménagement.
Unemaraîchère.
Unemaraîchèrenormande
quis’en irait
auxchampsdepatates
avecuncollier.
Celameva
commeuneplumed’autruche
danslenez,
— etjesuispolie.”
Ellehaussalesépaules,
sévèreàtout
ce qu’ellen’aimait plus
enelle :
unteintvif,sain,
unpeurouge,
unteintdepleinair,
propreàenrichir
lafranchecouleur
desprunellesbleues
cercléesdebleuplussombre.
Lenezfier
trouvaitgrâceencore
devantLéa;
“lenezde
Marie Antoinette!”affirmait
lamèredeChéri,
quin’oubliait jamais
d’ajouter :
“…etdansdeuxans,
cettebonneLéa
auralementon
deLouis XVI”.
Laboucheauxdentsserrées,
quin’éclataitpresquejamaisderire,
souriaitsouvent,
d’accordaveclesgrandsyeux
auxclinslentsetrares,
sourirecentfoisloué,
chanté,photographié,
sourireprofondetconfiant
quine pouvait lasser.
Pourlecorps,
“onsaitbien”
disaitLéa,
“qu’uncorpsdebonnequalité
durelongtemps.”
Ellepouvaitlemontrerencore,
cegrandcorpsblanc
teintéderosé,
dotédeslonguesjambes,
dudosplat
qu’onvoitauxnymphes
desfontainesd’Italie;
lafesseàfossette,
leseinhautsuspendu
pouvaienttenir,
disaitLéa,
“jusquebienaprès
lemariagedeChéri”.
Text
Colette, Chéri.
Arthème Fayard, 1920: 11 - 14.
Calmann-Lévy, 1920.
Image
Édouard Touraine, Le Sémiramis-Bar.
La Vie Parisienne, 1909.
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